Ma contribution du jour s’inscrit dans la continuité du précédent article sur les ABC de la finance islamique. Il y a un composent important dans la définition de la finance islamique qu’on ne présente pas assez à mon sens, alors qu’il est fondamental, en particulier dans le contexte financier actuel.
Mais avant d’entrer dans le vif du sujet…
e me suis souvent interrogé : « peut-on comparer la banque islamique et la banque conventionnelle ? Poser la problématique en ces termes, est-ce vraiment honnête sur le plan intellectuel ? ». Et plus j’avançais sur le terrain, plus je me rendais compte qu’en réalité on comparait deux choses structurellement différentes et par conséquent « on compare l’incomparable ! », ou du moins pas sur ce plan de « laquelle a mieux résisté à la crise financière que l’autre ? ». C’est comme si on comparait un scooter 125 à une voiture Mercedes Sport dernière génération. Certes les deux servent à transporter un individu d’un point A à un point B, mais leurs moteurs et la manière de les conduire sont complètement différents.
Si les banques ou le secteur financier dits « conventionnels » ont particulièrement souffert ces sept dernières années, c’est essentiellement, nous dit-on, et en résumé à cause :
- Des produits financiers qualifiés de toxiques dont les « Sub-primes »
- du comportement des spéculateurs
- et des marchés (sans foi et presque sans loi) qui sont déconnectés de l’économie réelle et qui s’apparentent à des salles de Casino (« Bourse-Casino »)
Qu’a-t-on trouvé dans les produits dits toxiques ?
Quand on y a regardé de plus près on s’est aperçu que dans certains produits, le sous-jacent n’était autre que de la dette. Oui, quelque part aux Etats-Unis, des ménages américains, à revenus modestes, avaient cru accomplir leur rêve en devenant propriétaire d’une maison. Ils ne se doutaient pas de ce qu’on faisait ensuite du contrat de prêt qu’ils signaient. Celui-ci était retraité par la banque, mis dans un beau package avec d’autres contrats similaires (mécanisme de titrisation de créances), puis revendu à d’autres banques, investisseurs et spéculateurs dans le monde et qui espéraient en tirer profit et eux-mêmes le revendre. On revendait donc la dette. Ce n’est bien entendu pas nouveau, ni né avec les Sub-primes. Sur les marchés financiers, la dette est, depuis longtemps, devenue une marchandise comme une autre, qui s’échange, se négocie, se cède, se vend et s’achète. Une dette est aussi un produit d’investissement. On peut aussi investir dans la dette d’une grande entreprise ou celle même d’un Etat (les Obligations). C’est un marché tellement grand qu’on parle aujourd’hui de la « crise de la dette », comme on pourrait parler de la crise du secteur automobile, du secteur informatique, du secteur immobilier, etc…
Islam, commerce d’argent et commerce de dette
Parler de la dette et du commerce de la dette n’est pas juste une question purement financière, mais elle relève aussi de l’économie dans une vision plus macro. Il y a de quoi écrire des pages et des pages, et ce n’est pas mon objectif ici. Ceci dit, un point très important à mettre dans les atouts de la finance islamique et, qu’on ne souligne pas assez à mon sens, est le strict encadrement d’une transaction qui génère une dette.
Dans le référentiel islamique de la finance, si on peut déterminer le prix d’un bien en fonction du temps nécessaire à son paiement, on nepeut, en revanche, fixer un prix à l’argent (en soi) qu’on prête ou emprunte en fonction du temps nécessaire au remboursement. L’argent en soi n’est pas « juge et parti ». Un contrat de prêt d’argent qui contient une condition de rembourser le capital et un surplus (donc des intérêts) en fonction du temps est strictement prohibé, et ce quel que soit la valeur de ce surplus. Quand on parle de Riba, générés par un contrat de prêt, on ne fait pas de distinction entre Intérêt (taux acceptable) et Usure (taux élevé et hors la loi). Riba renferme donc ces deux termes connus dans le droit commun.
Si s’endetter est tout à fait autorisé dans la religion musulmane (le verset le plus long du Coran(1) y est consacré avec un certain niveau de détail), une dette fait l’objet d’un encadrement très spécifique.
Faire du trading de dettes (ou de créances) n’est possible que sous des conditions très strictes, dont une, fondamentale, relative à lapréservation de la valeur nominale (c’est notamment le cas du contrat Hawala) lors de la cession de dette. En d’autres termes, on peut céder une dette d’une partie A à une partie B, mais sans en augmenter la valeur. On ne peut pas tirer un profit simplement de la dette. Nous décortiquerons, lors d’une séance de formation dédiée, les règles détaillées de l’échange des dettes en fonction du sous-jacent, mais une chose importante à retenir ici : si les banques islamiques n’ont pas été exposées aux produits toxiques des Sub-primes (un vrai commerce de la dette) c’est parce que le référentiel juridico-éthique dans lequel elles s’inscrivent ne leur permet pas. Elles n’ont pas le droit de « jouer avec le feu », et par conséquent, elles « ne se sont pas brulées » comme leurs consœurs conventionnelles lors de la crise financière. C’est ce qui m’a amené à dire plus haut « on ne peut comparer ce qui est incomparable ». Et encore là, notre première analyse ne se limite qu’à la dette.
Néanmoins, et c’est là un point essentiel à retenir, le commerce de la dette a fait l’objet de débats chez les théologiens et jurisconsultes du monde musulman. On retient aujourd’hui la synthèse des avis des principales écoles juridiques qui est présentée dans le graphe ci-dessous :
https://formation.ifaas.com/
Enfin, il y a un autre élément sur lequel j’aimerai vous inviter à réfléchir. Il est tout autant philosophique qu’économique : les pays les plus riches sont aussi les plus endettés. N’y a-t-il pas un paradoxe dans la recherche de l’enrichissement par la voie de l’endettement ? »
Boubkeur AJDIR
Nos experts formateurs aurons l’occasion de revenir en détails sur les différents avis et sur les transactions contemporaines qui sont concernées par la dette lors de la formation niveau avancé.